2 cartes de France comparant la spécialisation de l'agriculture entre 1998 et 2020 on constate une diminution nette en 2020 de la diversité des exploitations sur le territoire

27 février 2024 Info +

Concentration et spécialisation en agriculture, à l'aune des recensements agricoles de 1970 à 2020 - Analyse n° 199

Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.

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Les exploitations agricoles françaises ont connu, depuis le milieu du XXe siècle, des mouvements importants de concentration et de spécialisation. Ces évolutions se poursuivent aujourd’hui, comme le montrent les résultats du dernier recensement agricole. Cette note présente ces tendances et analyse ces phénomènes à l’échelle des exploitations et des territoires1

Introduction

Au cours des dernières décennies, l’agriculture française a connu d’importantes évolutions structurelles. Entre 1970 et 2020, le nombre d’exploitations métropolitaines a été divisé par quatre, passant de 1,58 million à 389 000. Sur la même période, la surface agricole utilisée (SAU) moyenne par exploitation est passée de 19 à 69 ha2.

En parallèle, les exploitations se sont progressivement spécialisées sur un petit nombre de productions3 Alors que la plupart étaient, dans les années 1950, en polyculture-élevage, cette orientation technico-économique (Otex) rassemblait moins de 20 % des exploitations en 1988 et à peine plus de 10 % en 2020. Cette spécialisation économique s’est accompagnée d’une spécialisation territoriale plus ou moins marquée, et de la constitution de grands bassins de production : grandes cultures dans le Bassin parisien, cultures industrielles au Nord, élevage bovin laitier dans le Grand Ouest, l’Arc jurassien et les vallées alpines, élevage bovin allaitant dans le Limousin et le Charolais, etc.

Cette note s’appuie sur les résultats des recensements agricoles réalisés de 1970 à 2020. Elle documente ces tendances et analyse ces phénomènes à l’échelle des exploitations agricoles ainsi que des territoires.

La première partie montre que les inégalités de répartition du foncier, déjà fortes dans les années 1970, ne se sont pas accrues depuis et que l’agrandissement des exploitations s’est fait de façon relativement équilibré. A contrario, la main-d’œuvre s’est concentrée davantage. La seconde partie montre que les exploitations françaises ont accentué leur spécialisation depuis 1970, mais que la plupart des territoires métropolitains conservent une relative diversité de productions.

1) Une augmentation de la taille des exploitations et une main-d’œuvre qui se concentre rapidement

Les comparaisons intercensitaires de la répartition de la SAU et de la main-d’œuvre des exploitations agricoles font apparaître des dynamiques contrastées.

Une distribution inégale de la SAU, mais relativement stable

En 2020, le coefficient de Gini de la SAU par exploitation est de 0,60, ce qui témoigne d’une répartition inégale du foncier agricole4 , même si la France se situe dans le tiers des États-membres les moins inégalitaires en la matière5 (encadré 1). En effet, 25 % des exploitations françaises produisent sur moins de 5 ha et utilisent 1 % seulement de la SAU nationale (figure 1). Si on considère les 50 % d’exploitations les plus petites (< 35 ha), celles-ci n’exploitent que 7 % de la SAU nationale. À l’autre bout du spectre, les 5 % d’exploitations les plus grandes (> 214 ha) mettent en valeur, à elles seules, 25 % de la SAU métropolitaine.

Encadré 1 - Méthodes d’analyse de la répartition de la SAU et des emplois

Pour rendre compte de la répartition de la SAU et de la main-d’œuvre entre les exploitations, et mettre en évidence d’éventuels phénomènes de concentration, les courbes de répartition des tailles d’exploitations ont été tracées pour tous les recensements agricoles depuis 1970. Ces courbes, dites « de Lorenz »6, présentent en ordonnée la part cumulée de la SAU et en abscisse la part cumulée des exploitations. Pour chaque recensement, le coefficient de Gini de la SAU a également été calculé. Ce coefficient est un indicateur synthétique classique de mesure des inégalités. Il vaut 0 lorsque l’égalité est parfaite et 1 dans la situation la plus inégalitaire possible.

L’analyse géographique de ces phénomènes de concentration nécessite, pour sa part, de disposer d’un zonage avec des aires comparables entre elles et comparables dans le temps. Une première option serait de regrouper les exploitations par commune, selon le millésime du recensement. Mais les communes n’ont pas toutes la même superficie et leurs limites varient parfois dans le temps. Les différents recensements ont donc été ramenés au code officiel géographique des communes de 2020. Par ailleurs, pour l’ensemble des recensements, les exploitations ont été réparties sur un carroyage unique, fait d’hexagones de 225 km². Ces territoires peuvent alors être comparés entre eux et dans le temps.

Figure 1 - Distribution de la SAU en 2020

Cette figure présente la courbe de Lorenz de la SAU des exploitations françaises en 2020. En abscisse figure la part cumulée du nombre d’exploitations, par SAU croissante, et en ordonnée la part cumulée dans la SAU totale française. Six points sur le graphique illustrent l’inégalité de répartition de la SAU.

Source : auteurs, d’après RA 2020

Cependant, les comparaisons intercensitaires montrent que ces inégalités de répartition sont restées globalement stables au cours du temps. En 1970, le coefficient de Gini n’était que de 0,03 point inférieur à celui de 2020, et en 2000 et 2010 il était légèrement supérieur (+ 0,02). À l’inverse de ce que l’on aurait pu anticiper, les surfaces libérées par la forte diminution du nombre d’exploitations, depuis plusieurs décennies, n’ont pas été préférentiellement récupérées par les plus grandes de celles qui restaient en activité. Les exploitations qui se sont maintenues se sont agrandies plus ou moins au même rythme, quelle que soit leur taille. Il s’agit là toutefois d’une analyse nationale et cette apparente homogénéité pourrait masquer des situations plus contrastées, dans certains territoires ou pour certaines productions. Par ailleurs, l’analyse présentée ici s’appuie sur la notion d’exploitation agricole telle que définie lors du recensement, mais il est possible que la concentration du foncier passe par d’autres leviers (par exemple par la constitution de holdings détenant plusieurs exploitations7).

Un accroissement de la superficie des exploitations sur l’ensemble du territoire

Les exploitations semblent s’agrandir de manière homogène, mais cette tendance concerne-t-elle l’ensemble du territoire métropolitain ? L’étude de la SAU moyenne, sur chaque territoire (encadré 1), montre qu’au recensement de 1970 les grandes exploitations (> 50 ha) étaient principalement concentrées dans les régions de grandes cultures du Bassin parisien. Depuis les années 1950 et la généralisation de la moto-mécanisation, les grandes cultures sont en effet associées à des exploitations de grande taille. Certaines zones d’élevage extensif bien localisées (Cévennes, Baronnies) se caractérisaient également, dès les années 1970, par une SAU moyenne par exploitation élevée.

Au fil des recensements, la SAU moyenne croît sur tous les territoires et dépasse généralement les 40 ha, y compris dans des régions d’élevage (Grand Ouest, Auvergne, Rhône-Alpes, Franche-Comté). Ceci résulte vraisemblablement du fait qu’à partir des années 1970, le développement des stabulations libres a permis de simplifier les tâches de nourrissage des animaux (couloir d’alimentation) et d’évacuation de leurs déjections. Simultanément, la multiplication des salles de traite a allégé les contraintes matérielles pesant sur l’élevage d’animaux laitiers. Ces évolutions ont favorisé l’augmentation de la taille des troupeaux et des surfaces associées prises en charge par les éleveurs. Par ailleurs, certaines exploitations d’élevage de ces régions ont été converties à la production céréalière, ce qui a certainement concouru à l’accroissement de leur SAU moyenne. En 2020, seules les régions viticoles et arboricoles (vignobles champenois, alsacien et bordelais ; vallée du Rhône ; pourtour méditerranéen) font exception et présentent une SAU moyenne inférieure à 40 ha.

Des emplois qui se concentrent dans un petit nombre d’exploitations et de territoires

À l’inverse des résultats concernant la SAU, les coefficients de Gini et les courbes de Lorenz mettent en évidence, pour l’emploi, une tendance marquée à la concentration de l’emploi sur les exploitations. Faible dans les années 1970 (0,38), le coefficient de Gini associé à l’emploi est de 0,42 en 2020 (figure 2.a). En 2020, 25 % des exploitations mobilisent 61 % du total de la main-d’œuvre agricole, contre 49 % en 1970. Plus parlant encore, 25 % de la main-d’œuvre sont concentrés en 2020 dans 4 % seulement des exploitations, contre 9 % en 1970.

Figure 2 - Répartition de la main-d’œuvre agricole

La partie de gauche de la figure représente les courbes de Lorenz de la main-d’œuvre des exploitations françaises en 1970, 1980, 1988, 2000, 2010 et 2020. Les courbes superposées s’écartent peu à peu, illustrant un accroissement de l’inégalité de la répartition des emplois entre les exploitations. La partie de droite de l’illustration présente deux cartes de répartition des emplois agricoles en France métropolitaine en 1970 et 2020, illustrant la concentration géographique de ces emplois dans quelques territoires.

Source : auteurs, d’après RA 1970 à 2020

Les courbes de Lorenz issues des différents recensements montrent que cet accroissement des inégalités date principalement des années 1990, les courbes des millésimes 1970, 1980 et 1988 étant assez proches, de même que celles de 2000, 2010 et 2020. La lecture graphique montre que cette augmentation des inégalités de répartition de la main-d’œuvre résulte surtout d’un accroissement de l’emploi au sein des exploitations des derniers déciles. C’est en effet à partir de la médiane que les courbes s’écartent les unes des autres. Ces résultats sont cohérents avec d’autres travaux conduits à partir de l’échantillon d’exploitations du Réseau d’information comptable agricole (RICA)8.

Pour compléter l’analyse, la figure 2.b présente la répartition géographique des Équivalents temps plein (ETP) agricoles. Auparavant répartis de façon plutôt homogène, quoique moins densément dans les régions de grandes cultures, ils sont aujourd’hui concentrés sur un petit nombre de territoires : régions d’élevage de l’Ouest et régions viticoles et arboricoles précitées. L’importance de l’emploi agricole dans ces zones résulte d’orientations productives plus intensives en main-d’œuvre, mais aussi d’une densité d’exploitations plus importante qu’ailleurs.

2) Des exploitations davantage spécialisées que les territoires

Les données du recensement agricole permettent aussi d’analyser les dynamiques de spécialisation (encadré 2). Il en ressort une forte spécialisation des exploitations, qui contraste avec ce que l’on observe à l’échelle des territoires.

Encadré 2 - Méthodes d’analyse de la diversité des productions à l’échelle des exploitations et des territoires

Pour examiner la spécialisation ou la diversification économique des exploitations, celles-ci ont été considérées comme pouvant être la combinaison de 18 ateliers différents9. 10 ateliers en productions végétales ont ainsi été retenus (arboriculture, oliviers et fruits à coques, vignes, serres, plantes à parfum aromatiques et médicinales, maraîchage, grandes cultures standard10, grandes cultures industrielles11, fourrages, cultures végétales spécialisées) et 8 ateliers en productions animales (bovins laitiers, veaux de boucherie, viande bovine autre, ovins et caprins, porcs, productions animales spécialisées, poules pondeuses, volailles de chair). Pour tous les recensements de 1988 à 2020, les 18 Productions brutes standard (PBS) partielles correspondantes ont été calculées pour chaque exploitation. Ces PBS représentent la valeur moyenne potentielle générée par les différents ateliers. Afin de faciliter les comparaisons intercensitaires, elles ont été calculées aux « coefficients de 2017 », c’est-à-dire en utilisant les rendements et prix moyens observés sur les cinq années centrées sur 2017 (2015 à 2020). Rétropoler toutes les PBS aux coefficients de 2017 permet de s’affranchir des effets de rendements et de prix, et de se focaliser uniquement sur les évolutions structurelles (superficie et production).

Pour chaque exploitation présente dans les recensements de 1988 à 2020, l’indice de Simpson des 18 PBS partielles a ensuite été calculé. Cet indice est un indicateur de diversité utilisé en écologie12, proche de l’indice de concentration Herfindahl-Hirshman en économie. Il revient ici à pondérer le nombre d’ateliers des exploitations par leurs contributions respectives à la PBS totale. Cette approche permet de ne pas considérer qu’une exploitation constituée de deux ateliers, dont l’un génère l’essentiel de la PBS, est aussi diversifiée qu’une exploitation comprenant deux ateliers contribuant de façon comparable à la PBS totale. L’indice varie de 1 (exploitation avec un seul atelier significatif) à 18 (exploitation avec 18 ateliers de tailles économiques équivalentes).

Des exploitations de plus en plus spécialisées

La figure 3 présente la distribution de l’indice de Simpson des exploitations des recensements de 1988 à 2020. La moyenne comme la médiane de cet indice diminuent de façon marquée au cours du temps, ce qui témoigne d’une poursuite de la tendance à la spécialisation. Cette figure montre également qu’une proportion importante des exploitations affichent un indice de Simpson proche de 1, témoignant d’une très forte spécialisation. Ainsi, en 2020, 145 247 exploitations ont un indice de Simpson compris entre 1 et 1,05, ce qui correspond à des exploitations dont un seul atelier génère au moins 97,5 % de la PBS. Ces exploitations représentent aujourd’hui 35 % des exploitations métropolitaines, contre seulement 19,3 % en 1988. Un tiers d’entre elles sont en viticulture. Cette production a toujours été la plus représentée parmi ces exploitations très spécialisées, mais sa proportion a diminué depuis 1988 puisqu’elle était alors de 42,3 %. À l’inverse, une proportion croissante de ces exploitations avec un seul atelier produit des grandes cultures standard (25,8 % en 2020 contre 20,7 % en 1988) ou des fourrages sans production animale (11,7 % en 2020 contre 7,0 % en 1988).

Figure 3 - Indice de diversité économique des exploitations

Ce graphique présente la répartition des exploitations françaises selon leur indice de diversité économique, en 1988, 2000, 2010 et 2020. En ordonnée, la diversité économique varie de 1 à 18. Quatre profils représentent la densité de répartition des exploitations sur cette échelle aux dates étudiées. Ils montrent que la plupart des exploitations ont un indice à peine supérieur à 1. Sur chaque profil, une ligne horizontale représente la valeur médiane de l’indice (passant de 1,63 en 1988 à 1,24 en 2020), et un losange la valeur moyenne (passant de 1,82 en 1988 à 1,47 en 2020).

Note de lecture : les lignes horizontales représentent les valeurs médianes, les losanges la valeur moyenne et chaque profil représente la répartition des cas individuels (densité).

Source : auteurs, d’après RA 1988 à 2020

Notons enfin que 10,7 % des exploitations recensées en 2020 ont un indice compris entre 1,9 (deux ateliers contribuant à 60 et 40 % de la PBS totale) et 2,2 (trois ateliers contribuant à 55, 40 et 5 % de la PBS totale). Le nombre de ces exploitations a beaucoup diminué en valeur absolue entre 1988 et 2020 (- 64 %), mais il s’est maintenu en relatif (- 1,53 point de pourcentage). Environ un tiers de ces exploitations doublement spécialisées associent un atelier d’élevage et un atelier de productions végétales. Cette proportion est restée stable sur la période considérée. Toutefois, une proportion croissante de ces exploitations combine grandes cultures standard et industrielles, cette double spécialisation restant donc relative. Elles étaient 17 % en 2020, contre 6 % en 1988.

Le maintien d’une certaine diversité territoriale, selon des modalités nouvelles

Les exploitations françaises sont de plus en plus spécialisées, mais avec des disparités territoriales. C’est ce qu’illustre la figure 4.a, qui présente l’indice de Simpson des PBS partielles calculées à l’échelle des territoires, pour les recensements de 1988 et 2020. Cet indice est souvent supérieur à 2 et la comparaison des cartes met en évidence une remarquable stabilité. Il n’y a donc pas de tendance géographique à la mono-spécialisation, chaque zone conservant une diversité relative de productions, sans que cela n’empêche certaines productions d’être sur-représentées à certains endroits et sous-représentées à d’autres.

Si les territoires restent encore relativement diversifiés, ceci ne résulte plus, comme jusqu’à la fin des années 1980, d’exploitations elle-même diversifiées. En effet, la figure 4.b présente, pour chaque hexagone, l’indice de Simpson moyen des exploitations dont le siège se situe sur le territoire considéré. En 1988, cet indice était supérieur à 2 pour une bonne partie du territoire métropolitain. Ce n’est plus le cas en 2020, exception faite de certaines régions (Haute-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie) où les doubles spécialisations grandes cultures standard et grandes cultures industrielles sont fréquentes. Désormais, la diversité territoriale des productions résulte d’exploitations très spécialisées, mais dans des productions différentes.

Les territoires où la spécialisation recule : plutôt un rééquilibrage

La figure 4.a montre que certaines zones du territoire métropolitain, notamment à l’Ouest, se caractérisent par une déspécialisation marquée, avec un accroissement notable de l’indice de Simpson entre 1988 et 2020. Pour affiner l’analyse, ont été sélectionnés les hexagones pour lesquels a) l’indice de diversité économique a augmenté d’au moins une unité entre 1988 et 2020 (une production économiquement significative en plus) et b) la SAU occupe au moins 50 % de la superficie totale et n’a pas diminué de plus de 20 % entre les deux recensements (afin d’exclure d’éventuels artéfacts liés à l’urbanisation). Au total, 170 territoires (hexagones) remplissent ces critères. La plupart sont localisés en Pays de la Loire et Deux-Sèvres (86, soit 51 %) et en Bretagne (42, soit 25 %). Les autres sont totalement dispersés. Le choix a donc été fait de se focaliser sur ces deux zones.

Figure 4 - Diversité des productions par territoire et par exploitation

La partie de gauche de cette figure présente deux cartes de la diversité des ateliers de production, en 1988 et 2020, mesurée à l’échelle des territoires. La partie de droite présente deux cartes, aux mêmes dates, mais de la diversité moyenne des exploitations.

Source : auteurs, d’après RA 1988 à 2020

En Bretagne, l’indice de diversité économique moyenne des territoires étudiés était de 3,9 en 1988, et il passe à 8,0 en 2020. En Pays de la Loire et Deux-Sèvres, il passe de 2,2 à 7,8.

Dans les deux cas, c’est le fort recul des ateliers de production de volailles de chair qui explique cette augmentation de la diversité, par rééquilibrage. Les ateliers volailles représentaient 43 % de la PBS totale en zone Bretagne en 1988 (figure 5), et 66 % en zone Pays de la Loire et Deux-Sèvres13. En 2020, ils ne représentent plus en 2020 que 12 % en Bretagne et 22 % en Pays de la Loire et Deux-Sèvres. Ce recul de la production de volailles de chair, en volume et en proportion, est en particulier lié à la fin progressive des restitutions aux exportations14, qui ont largement soutenu ces productions jusque dans les années 1990. La hausse des indicateurs de diversité économique provient donc d’un rééquilibrage sur la zone, via le recul de la production auparavant majoritaire sinon hégémonique en termes de PBS. Dans une moindre mesure, le recul des grandes cultures industrielles en Bretagne (passant de 19 % à 6 % de la PBS totale) contribue à une PBS 2020 plus équilibrée, et donc en apparence plus diversifiée qu’en 1988.

Figure 5 - Décomposition et évolution de la PBS dans les territoires de Bretagne et Pays de la Loire, où l’indice de Simpson augmente entre 1988 et 2020

Ce graphique représente les PBS des 18 ateliers analysés, sur deux zones de Bretagne et de Pays-de-la-Loire et Deux-Sèvres, en 1988 et 2020. Dans ces deux zones la diversité économique s’est accrue entre les deux dates. L’atelier “volailles de chair”, très important en 1988 dans des deux cas, occupe une place nettement moindre en 2020.

Source : auteurs, d’après RA 1988 à 2020

Au final, l’augmentation de la diversité des productions dans les régions étudiées est davantage un rééquilibrage, lié à un contexte économique et politique particulier, qu‘une contre-tendance affirmée à la déspécialisation.

Conclusion

Les données des différents recensements agricoles depuis 1970 permettent d’éclairer et objectiver les tendances à la concentration et à la spécialisation des exploitations, par ailleurs déjà bien documentées. Les résultats présentés ici montrent que la répartition de la SAU entre les exploitations, très inégale, ne s’est toutefois pas accrue depuis 1970. Il n’en est pas de même pour la main-d’œuvre, qui se concentre dans un nombre de plus en plus réduit d’exploitations. S’agissant de la diversité des productions, malgré une spécialisation accrue des exploitations, rares sont les territoires où une seule production est dominante sur le plan économique.

Ces constats invitent à compléter les analyses présentées ici par des travaux de terrain, par exemple sur les modalités concrètes d’organisation du travail au sein des unités de production où le nombre d’ETP est le plus élevé. Concernant la spécialisation, des études plus détaillées et géographiquement localisées permettraient de préciser les dynamiques à l’œuvre.

Jean-Noël Depeyrot
Centre d’études et de prospective

Mickaël Hugonnet
Centre d’études et de prospective


1 Pour en savoir plus voir INSEE, SSP, 2024, Transformations de l’agriculture et des consommations alimentaires, INSEE Références.

2 Barry C., Polvêche V., 2022, « Recensement agricole 2020 », Primeur n° 13, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Pri2213/detail/

3 Hugonnet M., Bernard-Mongin C., 2022, « Géographie ­environnementale du système alimentaire français : tendances et perspectives d’évolution », Document de travail, n° 16, Centre d’études et de prospective, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire : https://agreste.­agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/DOC-CEP16/detail/

4 À titre de comparaison, l’indice de Gini des revenus au sein de l’Union européenne s’établit aux alentours de 0,3.

5 Piet L., 2018, « Évolution des structures agricoles : quelques grandes tendances en France et dans l’Union Européenne », Cahiers du développement coopératif, n° 3 : https://hal.inrae.fr/hal-02624943

6 Lorenz M. O., 1905, « Methods of Measuring the Concentration of Wealth », Publications of the American Statistical Association, vol. 9, n° 70, pp. 209-219 : https://www.jstor.org/stable/2276207

7 Forget V., Grandjean A., Huille A., Legagneux B., NGuyen G., Piet L., Détang-Dessendre C., Dedieu B., Ramanantsoa J., 2019, « L’emploi et les activités agricoles, chiffres et évolutions clé », dans Actif’Agri. Transformations des emplois et des activités en agriculture, Centre d’études et de prospective, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation : https://agriculture.gouv.fr/actifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires

8 Piet L., 2019, « Concentration des exploitations agricoles et emplois », Notes et études socio-économiques n° 46, pp. 35-58, Centre d’études et de prospective, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Nes46A3/detail/

9 Aigrain P., Agostini F., Lerbourg J., 2016, « Les exploitations agricoles comme combinaison d’ateliers », Agreste - Les Dossiers, n° 32, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Dos32/detail/

10 Les grandes cultures standards désignent ici les céréales, y compris les blés tendre et dur mais à l’exception du riz, des protéagineux (pois, féverole, lupin doux), des oléagineux (colza, tournesol, etc.) et des plantes à fibres (lin, chanvre, etc.).

11 Les grandes cultures industriellesrecouvrent la betterave sucrière, la pomme de terre et les légumes d’industrie ainsi que les autres cultures industrielles (racines d’endives, chicorées, etc.).

12 Midler E., Sirami C., 2021, « Hétérogénéité des paysages agricoles, biodiversité et services écosystémiques », Analyse, n°163, Centre d’études et de prospective, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Ana163/detail/

13 Avec les coefficients de prix de 2017 : la part de cet atelier dans la PBS de 1988, calculée avec les prix de l’époque, pouvait être moins dominante, compte tenu des évolutions relatives des différents prix.

14 Dispositif de subvention aux exportations de la Politique agricole commune (PAC) visant à compenser la différence entre le prix sur le marché intérieur européen et le prix à l’international.