paysage agroécologique
Cheick Saidou/agriculture.gouv.fr

07 septembre 2023 Info +

Estimation des besoins actuels et futurs de l’agriculture biologique en fertilisants organiques - Analyse n°195

Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.

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Dans le cadre d’une étude financée par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, les bureaux d’études AND-International et Cérès-Press ont analysé l’offre et la demande, actuelles et futures, en matières fertilisantes organiques utilisables en agriculture biologique, en France1. Cette note présente les principaux enseignements de ce travail.

Introduction

L’agriculture biologique (AB) connaît une progression importante, depuis plus de dix ans, avec un peu plus de 58 000 exploitations cultivant 2,8 millions d’hectares en 2021. Ce développement devrait se poursuivre, encouragé par les pouvoirs publics nationaux et européens. Le Plan stratégique national de la Politique agricole commune fixe ainsi l’objectif de 18 % de la Surface agricole utilisée (SAU) cultivée en biologique d’ici 2027, alors que la stratégie Farm to Fork de la Commission européenne vise 25 % à l’horizon 2030.

En agriculture biologique, la fertilisation des cultures est fondée sur le principe du retour à la terre des matières fertilisantes, pour pallier l’interdiction des engrais minéraux de synthèse. Cela se traduit par des rotations pluriannuelles comprenant des légumineuses et par le recours à des matières fertilisantes d’origine résiduaire (MAFOR). Ces MAFOR sont issues des activités agricoles, urbaines et industrielles. En AB, elles peuvent être épandues directement sur les sols ou bien subir un traitement avant épandage (méthanisation, compostage).

Dans les prochaines années, l’augmentation prévisible des productions conduites en AB devrait accroître les besoins en MAFOR. Le règlement (UE) N° 2018/848 liste les matières fertilisantes utilisables en AB. De son côté, le Comité national de l’agriculture biologique de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) a restreint, depuis le 1er janvier 2021, les matières fertilisantes utilisables en production biologique : les effluents issus d’élevages considérés comme « industriels » sont désormais interdits. Les discussions au niveau européen sont encore en cours, au sein de l’Expert Group for Technical Advice on Organic Production (EGTOP). Elles pourraient déboucher sur de nouvelles règles d’utilisation des effluents issus d’élevages non biologiques.

Les enjeux associés à la dépendance de l’agriculture biologique aux éléments nutritifs provenant de l’agriculture conventionnelle ont été illustrés, ces dernières années, par plusieurs travaux de recherche2. Ceux-ci n’ont toutefois pas traité la question de l’équilibre en « équivalent-engrais » des éléments fertilisants, ni proposé d’analyse de ces équilibres à des échelles régionales. Pour combler ce manque, l’étude présentée ici a dans un premier temps fait une analyse complète des gisements en azote (N), potassium (P) et phosphore (K) issus des MAFOR utilisables en agriculture biologique (MAFOR UAB), en France, en incluant les territoires ultramarins. Dans un second temps, les besoins de l’AB en éléments fertilisants ont été estimés, puis comparés aux gisements disponibles au niveau national et dans chaque région. Avec l’appui d’un groupe d’une vingtaine d’experts, la troisième phase de l’étude a consisté à analyser l’offre et la demande en fertilisants à l’horizon 2030, selon quatre scénarios d’évolution. Les trois parties de cette note suivent les trois étapes de l’étude.

1) Les gisements de MAFOR UAB

L’estimation de ces gisements s’est appuyée sur une liste de matières permises par le cadre réglementaire, comme l’annexe II du règlement (UE) n° 2018/848, afin de dresser un inventaire des matières premières brutes utilisables en agriculture biologique (effluents d’élevage, composts de déchets verts, vinasse de betterave, coquilles d’œufs…). Les volumes disponibles ont été quantifiés, aux échelles nationale et régionale. Pour ce faire, la base de données ELBA3 a été utilisée, ainsi que les travaux du Réseau mixte technologique « Élevages et environnement ». L’analyse des effluents bruts d’élevage a été le cas échéant adaptée, afin d’avoir un périmètre constant. À titre d’exemple, la révision de la définition de l’élevage industriel, par l’INAO en janvier 2021, a été prise en compte. Elle précise les seuils à partir desquels les effluents ne sont pas utilisables en AB. En outre, des données de référence de composition moyenne des éléments fertilisants en N, P et K ont été mobilisées, ainsi que des informations sur les importations de MAFOR UAB. En revanche, pour estimer ces gisements, le choix a été fait de ne pas tenir compte simultanément de plusieurs types de MAFOR, soit pour éviter les doubles comptes (composts à partir d’effluents d’élevage ou digestats de méthanisation par exemple), soit en raison de la faiblesse de leur volume ou de leur teneur en éléments (biochar ou protéines végétales hydrolysées).

Les résultats obtenus permettent d’estimer le gisement total de MAFOR en France en 2020 à 123 Mt/an, dont 112 Mt utilisables en production biologique. Les MAFOR agricoles, c’est-à-dire les effluents d’élevages, sont de loin la première source en volume brut, puisqu’ils constituent 97 % du gisement de MAFOR UAB. En éléments nutritifs, les MAFOR UAB représentent 671 kilotonnes (kt) d’azote, 358 kt de phosphore et 918 kt de potassium (tableau 1). Le gisement d’azote efficace, c’est-à-dire l’azote directement assimilable par la plante la première année suivant l’épandage de la MAFOR (fraction minérale et arrières-effets liés à la minéralisation d’une partie de l’azote organique), est compris entre 149 kt et 255 kt équivalent engrais, soit entre 22 % et 38 % du gisement total d’azote. Le gisement de phosphore efficace s’élève à 295 kt équivalent engrais, soit 82 % du volume total, tandis que la ressource de potassium efficace est similaire à celle du gisement total.

Les effluents issus d’élevages bovins, prépondérants parmi les MAFOR UAB, totalisent 66 % de l’azote, 58 % du phosphore et 75 % du potassium efficaces du gisement. Cette prédominance des effluents d’origine bovine résulte en partie de l’interdiction d’utiliser des effluents issus « d’élevages industriels », ce qui exclut de fait une bonne partie des lisiers, fumiers et purins provenant d’élevages de volailles, et dans une moindre mesure de porcs. Ainsi, moins d’un tiers des effluents de poules pondeuses en cages sont utilisables en agriculture biologique, et environ 75 % de ceux de porcs. Enfin, sur le plan géographique, les gisements de MAFOR UAB sont logiquement plus conséquents dans les régions d’élevage (carte 1). 70 % des gisements d’azote UAB sont ainsi concentrés dans 6 régions : Bretagne, Pays de la Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Normandie, Grand Est.

Un tableau présente le gisement de MAFOR UAB en tonnes d’éléments nutritifs, par type de MAFOR (agricole, forestière, etc.) en 2020. Les MAFOR d’origine agricole représentent 97,1 % du gisement d’azote (652 400 tonnes sur 671 765), 94,3 % de celui de phosphates (338 759 tonnes sur 358 345) et 97,02 % pour la potasse (849 013 tonnes sur 918 412).

Source : rapport final de l’étude, page 38

Carte 1 - Cartographie du gisement d’azote utilisable en AB (en tonnes)

Une carte présente le gisement d’azote de MAFOR UAB par région. C’est en Bretagne que le gisement est le plus important (plus de 20 millions de tonnes). À l’inverse, c’est en Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Centre-Val de Loire qu’il est le plus faible (moins de 500 000 tonnes).

2) Les besoins en éléments fertilisants UAB

L’estimation des besoins en azote, phosphore et potassium a été réalisée pour chaque culture ou groupe de cultures engagées en agriculture biologique (en conversion ou certifié). Les 155 couverts recensés par l’Agence Bio ont été regroupés en 85 cultures ou groupes de cultures. Les besoins en éléments nutritifs ont été définis soit à partir des préconisations des instituts techniques ou des structures de conseil, soit à partir du niveau d’exportation et du rendement moyen basé sur la méthode COMIFER (Comité français d’étude et de développement de la fertilisation raisonnée) (encadré 1). Les reliquats azotés des légumineuses, les arrières-effets liés à la minéralisation de la matière organique, ainsi que les dépôts atmosphériques d’azote ont été pris en considération.

Encadré 1 - Méthode simplifiée du COMIFER utilisée pour l’étude
Le bilan de fertilisation simplifié a été approché de deux façons, pour chaque élément nutritif.

  • En valeur absolue (tonnes). Cela correspond à une simplification du bilan de masse permettant de mesurer les déficits ou surplus de N, P et K en tonnes équivalent engrais :
    Bilan de masse simplifié en tonnes = NPK eq. apportés par MAFOR UAB + autres apports NPK eq - Besoins NPK eq. cultures bio - pertes NPK eq
  • En valeur relative (en %). Cela correspond à la capacité du gisement de MAFOR utilisable en AB pour couvrir les besoins des couverts en N, P et K, en tonnes équivalent engrais :
    Part de fertilisation MAFOR en % =
    NPK eq. engrais apportés par MAFOR UAB
    -----------------------------------------------------------
    Besoins NPK eq. engrais SAU bio - pertes + autres apports

Il en ressort que les besoins totaux en N, P et K, en équivalent engrais pour les couverts cultivés en agriculture biologique, en 2020, ont été estimés à 232 kt d’azote, 84 kt de phosphore et 263 kt de potassium, avec de fortes variations en fonction du couvert considéré. Ils concernent très largement les surfaces fourragères (62 % de la SAU en AB), suivies des grandes cultures (26 %) (tableau 2). Ces variations dans les besoins s’apprécient aussi géographiquement : ils sont concentrés dans les régions où la part des surfaces en AB est importante (Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie). Les besoins estimés sont en revanche quasiment inexistants dans les territoires ultramarins, du fait des très faibles surfaces en production biologique.

Un tableau présente les besoins en azote, phosphore et potassium pour différents couverts cultivés en agriculture biologique, exprimés en tonnes équivalent-engrais. Les surfaces fourragères représentent à elles seules 74 % des besoins totaux en azote (171 794 tonnes équivalent-engrais), 68 % de ceux en phosphore (57 587 tonnes équivalent-engrais) et 81 % de ceux en potassium (214 251 tonnes équivalent-engrais).

Source : rapport final de l’étude, page 66

L’estimation de l’offre et de la demande a ensuite permis de réaliser des bilans de fertilisation. Ceux-ci ont été faits selon la méthode simplifiée du COMIFER (encadré 1).

À l’échelle nationale, pour l’azote, le bilan de masse est excédentaire (+ 499 kt), mais il est beaucoup plus contrasté (entre - 23 kt et + 83 kt) si on ne prend en compte que les apports d’azote efficace. Équilibrer le bilan azoté des cultures biologiques nécessiterait donc d’employer la quasi-totalité du gisement MAFOR UAB, autrement dit l’ensemble des effluents d’élevages conventionnels bovins ainsi que ceux provenant des exploitations porcines et avicoles ne relevant pas de l’élevage industriel.

Le bilan est en revanche plus confortable pour le phosphore et le potassium, puisque le gisement permet de couvrir jusqu’à 3,5 fois les besoins de la sole cultivée en agriculture biologique en 2020. L’étude montre aussi que les éléments fertilisants issus des seules exploitations en AB sont très limités. Ces effluents d’élevages biologiques ne permettraient de couvrir que 7 % à 12 % des besoins des cultures en AB pour l’azote, et respectivement 14 % et 9 % des besoins pour le phosphore et le potassium (en équivalent engrais). Ceci atteste de la dépendance de l’agriculture biologique à l’élevage conventionnel, s’agissant de la fertilisation.

À l’échelle régionale, ces déséquilibres entre disponibilités et besoins en MAFOR UAB peuvent être accentués, en raison des spécialisations géographiques (carte 2 à comparer à la carte 1). C’est le cas en Bretagne, où la spécialisation en élevage conventionnel accroît le gisement de MAFOR UAB. En Occitanie, au contraire, le fort développement des productions végétales en AB accroît les besoins. Soulignons par ailleurs que les bilans de fertilisation en production biologique connaissent une certaine dégradation. Différentes études4 ont ainsi conclu à un appauvrissement des sols en phosphore, dans les systèmes de grandes cultures sans élevage conduits depuis plusieurs années en AB.

Carte 2 - Cartographie des besoins en éléments nutritifs (en tonnes)

Une carte présente les besoins en éléments nutritifs pour l’agriculture biologique, par région et exprimés en tonnes équivalent-engrais. C’est en Occitanie que les besoins sont les plus importants (plus de 500 000 tonnes). À l’inverse, ils sont plus faibles en Île-de-France, Centre-Val de Loire et Hauts-de-France (moins de 100 000 tonnes).

Les résultats doivent néanmoins être interprétés avec prudence, en raison de limites liées à la méthode employée et à la disponibilité des données. Ainsi, le bilan de fertilisation N, P et K s’applique généralement à l’échelle de la parcelle ou de l’exploitation. Son extrapolation aux niveaux régional et national nécessite de simplifier certains paramètres pourtant significatifs dans la gestion des éléments fertilisants. Par exemple, la minéralisation de l’humus du sol, les effets de stocks, les pertes par lixiviation n’ont pas pu être approchés quantitativement. Les modèles de fertilisation en usage étant basés sur les pratiques de l’agriculture conventionnelle, les effets de certains mécanismes biologiques très importants en agriculture biologique ont été minimisés. C’est le cas de la mycorhization, à savoir l’association symbiotique des champignons et des racines des plantes, qui intervient notamment dans leur alimentation en N, P et K. En outre, les pertes d’éléments nutritifs spécifiques aux systèmes biologiques ne sont pas parfaitement connues, et les données existantes difficilement généralisables. Il est possible que ces pertes soient plus faibles qu’en production conventionnelle, du fait de rotations plus longues, d’apports réguliers de matières fertilisantes organiques ayant des fractions azotées minérales plus faibles, et de pratiques favorisant la vie microbienne du sol.

Par ailleurs, la représentativité de certaines données est incertaine. Ainsi, les teneurs totales et efficaces de N, P et K des MAFOR UAB ont été extrapolées, à partir de valeurs de référence issues, pour certaines d’entre elles, d’échantillons restreints. De plus, les données surfaciques proviennent des opérations de contrôle des organismes certificateurs, qui transmettent l’assolement complet mais pas les éventuelles successions de cultures au cours de l’année. Les cultures intermédiaires sont donc probablement minorées, ainsi que le gisement d’azote issu des reliquats potentiels. Enfin, les données sur l’agriculture biologique ne permettent pas de connaître avec précision les pratiques de fertilisation mises en place par les exploitants. Par exemple, la part de légumineuses dans la composition des parcours herbeux et prairies permanentes en AB n’est pas connue, et elle pourrait être supérieure à celle prise en compte dans l’étude. Ces résultats permettent néanmoins d’établir un état des lieux, à partir duquel une réflexion prospective a été engagée.

3) Quels futurs possibles à l’horizon 2030 ?

Le troisième temps de l’étude, beaucoup plus prospectif, a bénéficié de l’appui d’un groupe d’une vingtaine d’experts. Quatre scénarios ont été construits, en croisant des hypothèses d’avenir relatives à six grandes variables : surfaces cultivées en AB, part de légumineuses dans l’assolement en AB, évolution des effectifs d’animaux d’élevage dont ceux élevés en AB, part des effluents utilisables en AB, évolution de la méthanisation et part des digestats utilisables en AB, part des biodéchets valorisés comme fertilisants et utilisables en AB.

Dans le premier scénario, tendanciel, la surface cultivée en AB en 2030 représente 15 % de la SAU nationale, ce qui suppose le maintien de la règlementation actuelle sur les fertilisants biologiques. Dans ce cas de figure, le gisement en phosphore et potassium efficaces utilisables en agriculture biologique permettrait de couvrir les besoins en AB. En revanche, le taux de couverture en azote efficace oscillerait entre 98 % (conditions optimales de gestion de l’azote) et 53 % (conditions non optimisées de gestion de l’azote). Cette situation nécessiterait une captation de la totalité du gisement de MAFOR UAB pour couvrir les besoins des cultures.

Le deuxième scénario, caractérisé par un développement marqué des MAFOR UAB du fait d’une large ouverture réglementaire concernant l’utilisation des digestats et des biodéchets, fait l’hypothèse d’une surface en production biologique représentant 20 % de la SAU totale. À l’instar du premier scénario, les besoins en potassium et phosphore seraient couverts, le taux de couverture de l’azote varierait en revanche de 56 à plus de 100 %.

Le troisième scénario, dit de « développement autonome », a été élaboré sur la base de surfaces en agriculture biologique représentant 20 % de la SAU, en 2030, et d’une réglementation plus restrictive concernant l’utilisation de matières fertilisantes en AB. Dans ce cas de figure, le gisement de MAFOR UAB ne pourrait couvrir qu’une partie des besoins des cultures (en équivalent engrais), entre 5 et 8 % pour l’azote par exemple. Ce faible taux de couverture conduirait probablement à une chute des rendements, une décapitalisation plus marquée des sols et un recentrage sur des productions biologiques à prix de vente élevé (variétés anciennes, etc.), ou au développement de systèmes conduits en AB de plus en plus extensifs.

Enfin le quatrième scénario, celui de la « consolidation frugale », fait l’hypothèse d’une stagnation des surfaces en AB (10 % de la SAU), d’un ralentissement de la demande des consommateurs et d’un durcissement de la réglementation en vigueur, limitant par exemple l’usage des effluents d’élevage non biologiques. Si les besoins en potassium et en phosphore pourraient être largement couverts, en revanche le taux de couverture en azote efficace ne serait que de 50 à 85 %. Cette situation pourrait nécessiter de « sanctuariser » les effluents issus d’élevages non industriels, afin qu’ils soient obligatoirement mobilisés pour la fertilisation des cultures biologiques.

Différents enseignements peuvent être tirés de cette anticipation prospective. Tout d’abord, la perspective d’équilibrer les bilans de fertilisation se dégradera, dans les dix prochaines années, par rapport à 2020, en raison de différents facteurs, dont la baisse des effectifs du cheptel bovin. Ensuite, l’azote pourrait être le facteur limitant, nécessitant en particulier une gestion optimale tout au long de son cycle. De plus, à l’exception du troisième scénario, les effluents d’élevages conventionnels représenteront une ressource importante dans la couverture des besoins de la production biologique, quelles que soient les hypothèses faites concernant l’évolution de la SAU en AB. Dans ce contexte, la définition de « l’élevage industriel » et l’évolution des types d’élevage auront un impact majeur sur le gisement de MAFOR disponible pour l’agriculture biologique. Enfin, la mise à disposition de nouveaux gisements, comme le compost de déchets bois, de biodéchets ou encore les digestats de méthanisation, contribueront de façon significative au renforcement du volume mobilisable d’azote : la part de ces « nouvelles » ressources monterait à 25 % du gisement total dans le deuxième scénario, qui est le plus ouvert sur le plan réglementaire. Celui-ci est le seul permettant d’augmenter de façon significative la disponibilité des gisements de N, P et K par rapport au scénario tendanciel.

Conclusion

Les résultats de cette étude ont permis de compléter ceux de la prospective MAFOR à horizon 2035, réalisée en 2020 à la demande du ministère en charge de l’agriculture5, en se focalisant cette fois sur l’agriculture biologique. Le bilan dressé souligne la fragilité de l’équilibre entre une offre provenant de façon quasi-exclusive du secteur agricole, en particulier de l’élevage bovin, et une demande issue des surfaces fourragères, et dans une moindre mesure des grandes cultures. Cette vulnérabilité liée au facteur limitant qu’est l’azote se conjugue à une grande disparité spatiale, en fonction de la spécialisation des productions agricoles dans les territoires.

Si la prudence reste de mise dans l’interprétation des diagnostics initiaux, ceux-ci ont permis d’engager une réflexion prospective, à l’horizon 2030, mettant en exergue les tensions qui pourraient s’exercer pour répondre à la demande en MAFOR UAB. Elles concerneraient surtout l’azote, mais aussi le lien étroit existant entre agriculture biologique et conventionnelle, en particulier s’agissant de l’élevage bovin pour la fourniture de MAFOR UAB. La baisse des effectifs d’animaux (notamment bovins), la poursuite de la concentration des élevages (notamment porcins), associées à l’essor de la méthanisation, pourraient priver les productions biologiques de ressources dans le cadre règlementaire actuel. Le développement de nouvelles ressources issues de biodéchets ne permettrait pas de compenser cette baisse. La compétition sur ces gisements, avec le secteur conventionnel, n’a pas été étudiée mais celle-ci pourrait s’accroître avec la hausse du prix des engrais et la volonté de décarbonation des filières agricoles.

Pour mieux saisir encore les enjeux d’avenir, ce travail réalisé avec une approche centrée sur les stocks mériterait d’être complété par des études complémentaires sur les perspectives de nouvelles ressources (filières biodéchets dédiées, excréta humains) ou encore sur la transportabilité des MAFOR UAB, qui permettrait d’apprécier le sujet sous l’angle des flux, de la logistique et des systèmes d’échanges.

Clément Lepeule
AND-International

Alexis Dufumier
Cérès-Press

Johann Grémont
Centre d’études et de prospective


1 AND International, Cérès-Press, 2022, Étude prospective sur l’estimation des besoins actuels et futurs de l’agriculture biologique en fertilisants organiques et recommandations en vue de son développement, rapport pour le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire :

2 Nowak B., 2013, Diminuer la dépendance aux engrais de synthèse par le recyclage local des éléments minéraux : analyse des stratégies d’approvisionnement en éléments minéraux des exploitations agricoles biologiques, thèse de doctorat, Bordeaux I.

3 ELBA, 2018, Outil inter-instituts techniques d’évaluation de la biomasse agricole

4 Gosling P., Shepherd M., 2005, “Long-term changes in soil fertility in organic arable farming systems in England, with particular reference to phosphorus and potassium”, Agriculture, Ecosystems & Environment, Volume 105, Issues 1-2, pp 425-432.

5 Bailly B., Boutighane N., Gross C., Hardelin J., Noirot-­Cosson P E., 2022, Prospective des matières fertilisantes d’origine résiduaire (MAFOR) à l’horizon 2035, Analyse n° 176, Centre d’études et de prospective